Jean-François Brunet
Le système nerveux viscéral (SNV) assure l’homéostasie du corps en contrôlant les fonctions vitales via les organes respiratoires, cardiovasculaires et digestifs. Il est constitué par une série d’arcs sensori-moteurs reliant les viscères au système nerveux central, circuits dont la plupart des neurones dépendent d’un même facteur de transcription, à eux dédié, l’homéogène Phox2b, véritable « maître gène » du SNV. Les travaux de l’équipe constituent collectivement une sorte de biologie intégrative du système nerveux autonome, liant son développement embryonnaire, son évolution à grande échelle phylogénétique, et sa physiologie chez la souris.
Principaux Résultats
Sur le plan embryologique, l’équipe a montré que les ganglions parasympathiques sont produits par leurs nerfs afférents, dont les « précurseurs des cellules de Schwann » adoptent en bout de course un destin neuronal ; que la crête dite "vagale", source classique de la plupart des neurones entériques, est en fait duelle, formée d’une part par les précurseurs des cellules de Schwann migrant le long du nerf vague, d’autre part de la région la plus rostrale de la crête neurale du tronc (laquelle a donc un double destin, entérique et sympathique) ; que les bourgeons du goût qui constellent la langue et le palais dépendent strictement pour leur formation de leur innervation sensorielle viscérale ; que la voie autonome sacrée, innervant les organes pelviens, rectum, vessie et organes génitaux, et considérée depuis un siècle comme parasympathique, est génétiquement sympathique.
Sur le plan évolutif, tirant avantage de la grande spécificité de Phox2b pour le SNV, l’équipe étudie l’histoire évolutive de ses circuits en examinant l’expression du gène chez des espèces plus ou moins éloignées des vertébrés. Elle a montré que le ganglion cérébral des tuniciers adultes (Ciona intestinalis) contient des homologues des motoneurones branchiaux des vertébrés (respiratoires chez les poissons) : les motoneurones crâniens ont donc existé avant les crâniates ; que la dichotomie viscéro-somatique des circuits sensori-moteurs, en charge respectivement de l’homéostasie (par exemple respiration) et des relations avec le monde extérieur (par exemple locomotion), était déjà présente chez les mollusques (escargots ou seiche), et par inférence est ancestrale aux bilatériens.
Sur le plan physiologique, en collaboration avec le laboratoire de Gilles Fortin, l’équipe a montré qu’un petit groupe de neurones dans le cerveau postérieur, le « noyau rétrotrapézoide », exprimant Phox2b était essentiel au chémoréflexe central ; qu’une lésion à ce niveau était responsable des troubles respiratoires du syndrome d’Ondine ou d’Hypoventilation Centrale Congénitale (CCHS), à tout le moins de son modèle murin ; que des neurones Phox2b+ de la substance réticulée du bulbe cérébral étaient non seulement promoteurs au motoneurones de la face et du cou (eux-mêmes Phox2b+) mais pouvaient commander le lapement, comportement rythmique d’ingestion des liquides chez de nombreux vertébrés terrestres.
Les travaux physiologiques actuels, sous la direction de Gilles Fortin qui nous a rejoints à l’ENS, concernent la respiration, une des trois fonctions viscérales cardinales avec le contrôle cardio-vasculaire et la digestion. La respiration est un comportement relativement simple et conservé chez les vertébrés. Ce modèle d’étude est utilisé pour tenter d’identifier les principes par lesquels les circuits neuronaux orchestrent le contrôle précis et adapté d’un comportement. Nous cherchons à comprendre comment le système nerveux peut générer/moduler une activité rythmique permanente et structurer les commandes neuronales qui assurent la respiration homéostatique (échange gazeux dans les poumons) et non-homéostatique (par exemple, la vocalisation).
Pour déchiffrer la façon dont les circuits respiratoires du tronc cérébral s’engagent dans le contrôle de diverses tâches fonctionnelles, il faut démêler les sous-populations neuronales organisées en circuits spécifiques avec des fonctions exécutives dédiées. Ces questions sont abordées par le biais d’approches multiples qui incluent la génétique de pointe chez la souris, des stratégies virales pour le traçage des circuits, la manipulation fonctionnelle (opto-/chimio-génétique) et des moyens biophysiques (par exemple, l’électrophysiologie, l’imagerie calcique...) et de vidéo tracking pour l’analyse comportementale quantitative. Grâce à des investigations à différents stades de développement, ces approches touchent également aux mécanismes d’assemblage des circuits.
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A medullary center for lapping in mice
Nature Communications (in press)